[sabijé o dékròSé-mwa sa] (loc. verb. MODE.)
Si la mercatique moderne et ses voies subtiles impénétrables au commun des mortels consommateurs permettent désormais l’achat au prix fort de Jeans déchirés comme après une gamelle en vélo ou de pulls si étrangement tricotés qu’on pourrait imaginer la machine à tricoter SINGER type 2200 double fonture encore en service, il nous faut rappeler qu’il n’en a pas toujours été ainsi et que la langue a parfois tenu à mettre une certaine distance avec le négligé vestimentaire.
Elle utilisait (dans les années surannées) l’expression complète de s’habiller au décrochez-moi ça pour décrire le dépenaillé, l’étrangement assorti, l’abandonné. Attention : il n’est nullement fait référence ici au goût. S’habiller au décrochez-moi ça peut se faire avec ou sans col pelle à tarte, sous-pull à col roulé orange, cravate à grosses fleurs, bottines blanches en crocodile, etc.
Si la friperie est bien le décrochez-moi ça, principal pourvoyeur des guenilles nécessaire à l’obtention de la mention étudiée en ces lignes, s’habiller au décrochez-moi ça peut concerner le ou la richissime qui flâne et fait du lèche vitrines avenue Montaigne. S’habiller au décrochez-moi ça est en réalité un art : celui de transformer en sac à patates le plus précieux des tissus, le mieux taillé des pets-en-l’air.
Qui a eu une grand-mère à cheval sur l’étiquette a entendu comme un reproche le fait de s’être habillé au décrochez-moi ça avec ce t-shirt Punk not dead aux lambeaux savamment travaillés au cutter, ou avec cette chemise hawaïenne qui n’était pas sans rappeler celle de Tom Selleck dans les cent soixante deux épisodes de Magnum PI.
L’art télévisionné-réaliste de la modification d’apparence vestimentaire (ou relooking) apparu au XXIᵉ siècle minorera s’habiller au décrochez-moi ça en diffusant tous les conseils nécessaires à la mise en harmonie des chaussettes avec son pantalon¹, à l’accord du camaïeu, au choix de la boucle de ceinture. Mieux encore, on peut aujourd’hui se chausser lacets défaits sans encourir la moindre remontrance sur le fait de s’habiller au décrochez-moi ça.
Comme tout ce qui fait la modernité, c’est des États-Unis que viendra le coup fatal pour s’habiller au décrochez-moi ça.
Le 26 février 2014 paraît dans le très innovant et créatif NY Mag un article mentionnant l’émergence du normcore, une tendance consistant à refuser tout style vestimentaire et à adopter la tenue la plus insipide possible, à grand renfort de sweat-shirts difformes et de n’importe quoi. L’idée emporte immédiatement un franc succès.
Dans le langage, s’habiller au décrochez-moi ça décroche puisqu’elle n’est plus un reproche, et l’expression s’en va rejoindre tant d’autre au rayon des vieilleries surannées.