[smyʁf] (n. com. HIP.)
Je sais que tu le peux, je sais que tu le veux.
Il s’appelle Momo, il nous vient de Sarcelles, tu fais le hip, tu fais le hop, yeah mon frère ! (in H.I.P. H.O.P., 1984, télévision française 1ère chaîne).
Eh oui chers amis djeuns’ modernes trop cool avec votre casquette Era¹ et votre baggy qui ne laisse aucune place à l’imagination quant à la marque de votre lingerie, vous allez découvrir en ces modestes lignes que l’urban culture est parfois elle aussi surannée. Afrika Bambaataa, père de la Zulu Nation, a soixante balais ce qui ne nous rajeunit pas, le Bronx est pacifié et les hipsters font flamber le prix du mètre carré à Brooklyn. Ça commence fort.
Bon, on prend son Ghetto-Blaster sur l’épaule (auto-reverse ON), la cassette des Break Machine et du Grandmaster Flash et on y go. Yo.
Tu te croyais au top de l’underground, immunisé contre le suranné grâce à des noms de groupes musicaux dont je n’ai jamais entendu parler, des marques de fringues aux prix plus excessifs que ceux des classiques du Faubourg Saint-Honoré portées par des rappeurs avides, et des graffeurs qui vendent leurs œuvres dans les galeries branchées ?
Tu ne savais donc pas qu’aux origines de ta culture on trouve le smurf. Demande à mamie de te préparer une camomille, ça va piquer mon ami gangsta‘.
Dans les mid 80’s TF1 n’est donc pas un refuge pour admirateurs des vieux-métiers-d’antan-qu’on-ne-rencontre-plus-que-dans-nos-petits-villages mais bel et bien l’importateur officiel d’un mouvement culturel apparu dans le South Bronx après le flower power. Rien que ça, ça estomaque.
C’est Sydney, premier présentateur noir du PAF, qui s’y colle en survêtement et tout en enthousiasme. Tous les dimanches Sydney nous apprend le smurf, une danse acrobatique qui consiste à se désarticuler comme pourrait le faire un robot au son d’une musique nouvelle qui isole les breaks percussifs des chansons disco sur vinyle avec apport de scratching, beat mixing, matching et beat juggling. Dans un pays suranné où Bip et le Mime Marceau représentent l’ultime transgression artistique en matière d’art corporel, ça fait un choc.
Le smurf consiste principalement en la contraction et la décontraction des muscles des jambes, du torse, du ventre, des bras sur des parties clefs du rythme. On y adjoindra efficacement une technique de mime (Bip n’est jamais loin, que voulez-vous, les classiques…) qui consiste à isoler une partie du corps pour pouvoir l’activer indépendamment des autres afin de créer un effet visuel dissonant². Par exemple le twisto-flex consiste à tourner séparément la tête, le corps et les jambes dans des ordres différents; autant vous dire que je n’ai jamais réussi, médiocre conditionné que j’étais par 50 000 années d’une animalité vouée au respect du sens de rotation de mes articulations.
Du côté du Troca et des Halles ça smurf à tout va. Ça fait le hip, ça fait le hop, ça fait la vague, ça moonwalk et ça se cogne aux vitres imaginaires, des gestes lents, ils prenaient leur temps pour enchaîner, les passes qu’ils avaient élaborées dans leur quaaartier, c’était vraiment trop beau, comme nous le rappellera beaucoup plus tard IAM et son « Je danse le mia » (1993).
Voilà mon ami en Ünkut, tu viens de prendre un coup de suranné, ce qui vaut toujours mieux qu’un coup de surin. Allez, bois ta tisane, tu verras on peut vivre après ça. Et si tu as un coup de moins bien on se retrouve le 12 novembre, c’est la date officielle de la célébration de la Zulu Nation, celle qui disait dans ses Infinity Lessons qu’elle était à la recherche du succès, de la paix, de la connaissance, de la sagesse, de la compréhension et d’une manière de vie droite.
Quand je te dis que c’est suranné.