[tas mòbil] (n. com.&marq. dép. VAISSEL.)
Certainement parce qu’il était honoré de nous accueillir dans sa dernière station avant l’autoroute sur la route des vacances (il nous reconnaissait d’année en année, c’est sûr, je ne vois pas d’autre raison), le pompiste nous offrait un présent à la hauteur de l’estime qu’il portait à notre précieuse compagnie : une tasse Mobil.
Richement décorée d’un motif floral de haute inspiration, la tasse Mobil faisait l’objet de très âpres négociations quant à son bénéficiaire et aux usus, abusus et fructus liés à sa propriété. Suscitant jalousie et avidité entre les membres de toute fratrie normalement constituée, nul ne savait encore que la splendide tasse Mobil n’était que l’instrument d’un sombre complot mercatique en charge de faire prescrire à des enfants frustrés, l’arrêt systématique dans une station service d’une compagnie pétrolière américaine afin d’y faire le plein de super¹.
Se doutait-il seulement, le jeune Jean-Charles Meunier, créateur en 1972 dans cet Atelier 24 de la rue d’Alésia où il exerçait son talent de dessinateur, qu’il tenait le crayon d’une terrible machination ? Encore aujourd’hui il jure que non et il raconte combien son « dessin merdique » (selon son patron de l’époque) était le fruit de son innocence et de sa créativité.
Cette fleur à quatre pétales majeurs et quatre autres pétales mineurs emprisonnés dans un carré à bords souples qui lui confère un je-ne-sais-quoi de petit air aztèque, prit place dans les vaisseliers de France au fur et à mesure qu’ExxonMobil Corporation engrangeait les bénéfices générés par son agressivité commerciale. Et elle en contint des Benco, et elle en accueillit des cafés El Gringo…
Le 23 mars 1989, en s’échouant sur les côtes de l’Alaska et les souillant de 40 000 tonnes de brut, l’Exxon Valdez fait basculer le nom d’ExxonMobil dans les affres les plus sombres des catastrophes pétrolières, rejoignant le Sea Star, le Showa Maru, l’Urquiola, l’Amoco Cadiz. Des centaines de milliers d’oiseaux et de mammifères marins qui se moquaient bien de pouvoir faire le plein, meurent. Des centaines de kilomètres de littoral se couvrent d’un linceul noir et visqueux. La tasse Mobil désormais honnie ne peut plus figurer sur la table.
Bannie, elle rejoint à la cave une collection de verres moutardiers aux héros-décalcos usés et déchus. Elle est devenue surannée.