[tenir o Zy] (arg. EDF)
Tous les experts en surannéité ne s’accordent pas sur la date exacte à laquelle l’expression étudiée ici est née. Aussi est-il de notre devoir d’encyclopédistes de vous faire part de toutes les hypothèses.
L’une chapelle dit que 1799 en marque le début avec l’invention du courant continu par la pile électrique par Alessandro Volta. L’autre prétend que c’est 1878 qui fait foi avec la création de l’Edison Electric Light Co. à New York par Thomas Edison.
Force est de constater quoi qu’il en soit que tenir au jus fait référence au courant électrique, jus en argot de nos faubourgs. Et que ce jus en question (qui est en réalité l’eau acide des accumulateurs) ne peut avoir été nommé ainsi avant que la fée électricité ne se charge de donner son surnom à la ville lumière.
Et dans ce cas, tenir au jus daterait d’après l’exposition universelle de 1878 pour laquelle la municipalité d’alors décida d’éclairer divers points de Paris à l’électricité, et notamment l’avenue de l’Opéra avec les fameuses bougies Jablochkoff.
Une usine de production d’électricité est inaugurée le 1er décembre 1889 aux Halles et un mois plus tard, un marchand sis 18 rue du Pont-Neuf devient le premier abonné au réseau municipal. Tenir au jus peut commencer à se dire pour tenir au courant, puisque le courant court.
En 1930 ce sont plus de deux cents usines différentes qui produisent la fée électricité en France, permettant à tenir au jus de se déployer sur tout le territoire. En 1946 le gouvernement crée un monopole d’Etat et EDF : c’est l’heure de gloire de tenir au jus qui manque de peu de se retrouver mentionnée dans la Loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz.
Tenir au jus connaît même un regain d’activité suite à la démocratisation du combiné téléphonique et à la création du ministère des P&T avec une expression qui fera florès : « On s’téléphone on s’tient au jus ».
La belle histoire de tenir au jus avec la langue se termine très exactement le samedi , à 15 heures, au 46 boulevard Exelmans. Claude François, chanteur suranné, vient de mourir électrocuté dans sa baignoire. L’électricité n’est plus une fée mais un démon. Elle a tué le chanteur le plus populaire de l’époque.
Instantanément il devient impossible de tenir au jus qui que ce soit sur quelque sujet que ce soit. Tenir au courant, forme plus littéraire, voit lui aussi son utilisation baisser.
Ni la chanson française ni la langue de Molière ne se remettront de cette perte immense. Et les tentatives désespérées d’interprètes modernes de relancer Comme d’habitude n’y feront rien. Tenir au jus a disparu.