[tété la ɡarɡarus] (lang. prop. BAIS.)
Ce ne sont pas les gloires anciennes de sa propension à conquérir des contrées pour y planter son drapeau qui confèrent à la France sa réputation planétaire. C’est sa langue.
Ou plus précisément la langue de ses représentants. Cette langue virevoltante, tournoyante, entêtante, qui s’agite dans la bouche bardée du fer d’un appareil dentaire de quelque correspondante d’un pays de cocagne où la réputation du french kiss ou du beso francès n’est plus à faire.
Téter la gargarousse est LA spécialité française, son honneur, sa marque de fabrique, son sceau. La galoche a fait pour le pays plus de conquêtes que le croissant chaud du matin, la pelle correctement roulée a suscité plus d’une vocation à embrasser la cause d’une langue compliquée que tous les symposiums sur la grammaire et l’accord du participe passé, et la fricassée de museau dépasse en bonne réputation dans de nombreux pays celle de la soupe VGE du maître des fourneaux.
Téter la gargarousse est bleu-blanc-rouge (à lèvres) et la France peut en être fière.
Aux armes, citoyens !
Formez vos bataillons !
Marchons, marchons !
Qu’un sang impur…
Abreuve nos sillons !
Le cataglottisme que traduit littéralement téter la gargarousse est donc un savoir-faire unique de la langue surannée dont l’origine demeure enfouie dans les dessous d’une histoire de France trop portée sur la chose pour qu’on puisse l’enseigner officiellement. Téter la gargarousse s’apprendra à l’école, certes, mais dans la cour de récré cachés derrière les arbres, plutôt qu’en classe sagement assis en écoutant un savant exposé.
D’iconiques Baiser de l’hôtel de ville ou Baiser de Rodin en frémissant Quai des brumes, téter la gargarousse bâtira donc pour toujours cette réputation qui permet au moindre puceau boutonneux franchissant le channel de montrer aux anglaises pourquoi elles ne trouveront plus jamais le bonheur en demeurant sur leur île, et combien le français est une langue qui gagne à être pratiquée.
Selon certains, téter la gargarousse aurait disparu en surannéité tout simplement parce qu’avec le temps va tout s’en va, et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu, et l’on se sent glacé dans un lit de hasard, et l’on se sent tout seul peut-être mais peinard, et l’on se sent floué par les années perdues¹.
Peu crédible.
Toute surannée qu’elle soit, téter la gargarousse peut ressurgir à chaque instant au pays qui inventa l’amour. Il suffirait d’un rien.