[lé têbre Zënès o plê èr] (n. assoc. ŒUV.)
La vignette est un format caractéristique des années surannées. Déclinée en version automobile pour les adultes, en format Panini pour les plus jeunes, elle utilisa les uns comme vendeurs et les autres comme acheteurs dans un troisième subtil montage que le marketing moderne le plus vicieux ne renierait pas, mêlant nobles intentions et force de prescription. Cette trouvaille appelait à l’étude : la voici envisagée en cette définition bienvenue.
« Les enfants de toutes catégories ne peuvent être pendant deux mois et demi abandonnés à l’oisiveté démoralisante », qu’ils disaient…
C’était en 1938, époque ô combien surannée, à la Fédération nationale des œuvres laïques de vacances d’enfants. Nous ne nous égarerons pas en tentant de répondre à la notion d’oisiveté démoralisante mais signalerons très simplement que construire des cabanes dans les bois, partir de bon matin sur les chemins à bicyclette avec Paulette, ou bâtir des châteaux de sable n’a pas grand chose à voir avec le désœuvrement. Ceci étant néanmoins une autre histoire, revenons à nos moutons.
À partir de 1939 se constitue la fédération d’œuvres laïques susmentionnée, qui entend permettre aux enfants de partir en vacances, intention louable s’il en est. Elle sera dissoute sous le régime promouvant le travail, la famille et la patrie puis renaîtra dans la foulée de la victoire sur les forces obscures.
Jeunesse au plein air, puisque c’est son nom de gala, apparaîtra véritablement en 1947 sous la forme d’une campagne de vente de timbres et vignettes au profit des œuvres de l’association. C’est le coup de génie. Les élèves des écoles de France, vêtus de leur blouse d’enfant sage, sont chargés de commercialiser les timbres et les vignettes pour que leurs camarades moins chanceux puissent s’extraire eux aussi du farniente estival et partir manger du rata en colo.
Dès lors, chaque printemps, des hordes de vendeurs représentants placiers en culotte courtes harcèleront commerçants, grands-parents, voisins et voisines, et au final parents, afin de leur fourguer leurs timbres Jeunesse au plein air, tels des commerciaux de foire commissionnés à la pièce, prêts à vendre père et mère pour toucher leur pécule.
1979 et la petite blondinette à couettes avec des cerises en boucles d’oreilles…
Souvent illustrés par des artistes de talent (les premiers furent l’œuvre de Francisque Poulbot, père des fameux titis parisiens qui prirent son nom en hommage), les timbres Jeunesse au plein air représentaient pour tous une figure joyeuse de l’enfance. Enfin, presque pour tous…
Je me souviens de 1973 et de son effrayante chevauchée de sauterelle (je lui dois des dizaines de cauchemars et plusieurs psychologues, un burn-out inexpliqué). Qui voudrait chevaucher une sauterelle ? Pourquoi pas une araignée ! J’ai encore en mémoire 1974 et les deux petits joueurs de guitare : étaient-ils nus derrière cet immense instrument ? Et si oui, pourquoi ? Déjà que vendre ces timbres Jeunesse au plein air n’était pas une sinécure, pourquoi fallait-il en plus que leur image de propagande soit si dérangeante ?
Bien entendu il y eu quelques bons souvenirs : je n’ai pas oublié 1979 et la petite blondinette à couettes avec des cerises en boucles d’oreilles… 1980 : le petit garçon blond et sa grenouille sur la tête m’évoquent la chanson de Nino. Si les timbres Jeunesse au plein air avaient eu un hymne, c’eût été celui-ci. Ah, Nino…
🎼La maison près de la fontaine
Couverte de vigne vierge et de toiles d’araignée
Sentait la confiture et le désordre et l’obscurité
L’automne
L’enfance
L’éternité…🎶🎶Autour il y avait le silence
Les guêpes et les nids des oiseaux
On allait à la pêche aux écrevisses
Avec Monsieur le curé
On se baignait tout nus, tout noirs
Avec les petites filles et les canards…🎶La maison près des HLM
A fait place à l’usine et au supermarché
Les arbres ont disparu, mais ça sent l’hydrogène sulfuré
L’essence
La guerre
La société…🎶Ce n’est pas si mal
Et c’est normal
C’est le progrès🎶