
Fig. A. Estomaqué tombant du placard.
[tɔ̃be dy plakaʁ] (SURPR. SECR.)
Il est de ces expressions qui font du bruit quand elles déboulent. Tomber du placard en fait partie.
L’image est forte : alors qu’on croyait soigneusement rangé, oublié, dissimulé dans le bazar d’une étagère d’armoire, quelque cadavre, sombre dessein ou simple souvenir honteux, voilà qu’il refait soudain surface avec fracas. Et c’est du découvreur de ce secret d’alcôve dont on dit qu’il tombe du placard tant la berlue semble le saisir.
L’estomaqué ne l’est pas moins que s’il avait chuté du dessus d’une lourde armoire normande ou d’une plus légère Småstød suédoise, d’une penderie bien remplie ou des étagères d’un dressing sur mesure. Les vérités révélées le scient, les cachotteries si bien cachées l’hébètent : il est groggy. Et il se casse la margoulette, dégringolant de son piédestal en chêne ou en aggloméré.
Ainsi, tomber du placard s’emploiera chaque fois qu’un secret jusqu’alors bien planqué éclatera au grand jour. Le vieil ami qui n’était qu’un amant, le scoop à la une des gazettes, le gendre idéal tueur en série, sont autant d’événements susceptibles de faire tomber du placard le cocu, la commère, le quidam. Souffle coupé, bouche bée, air hagard, l’échu est choqué. Il lui faudra du temps pour s’en remettre.
L’amant est dans le placard, le mari en tombe
Notons que même lorsque l’amant était caché dans le placard comme il est de rigueur dans le théâtre de boulevard, c’est le mari trompé qui en tombe alors que le zig était confortablement assis dans son canapé; la langue surannée n’est pas à un paradoxe près.
Cette expression à forte teneur dramatique et à effet comique garanti se distingue des révélations feutrées, des indiscrétions chuchotées ou des aveux murmurés sous la couette (et même de ceux obtenus sous la torture). Tomber du placard c’est une porte qui claque¹ sur la tranquillité apparente du monde tel qu’on le croyait.
C’est aussi une façon élégante de ne pas dire qu’on s’est fait balader. Car l’expression permet de conserver une certaine dignité dans l’humiliation : « Je suis tombé du placard » sonne quand même mieux que « Je suis tombé de la dernière pluie » ou pire, « Je me suis fait enfler comme un bleu ». Elle possède ce supplément d’âme qui autorise à conserver le port altier après le choc.
Malgré le poids des mots et le choc des photos dévoilant en une le cancan susceptible de faire tomber le lecteur du placard, l’expression va se retrouver placardisée. Aujourd’hui le scandale se décline en stories, la confession est un contrat d’édition.
Elle repose désormais aux côtés d’autres tombés illustres — de haut, des nues, dans les pommes, pour la France — et laisse place à d’emphatiques et surjoués « ch’uis chôqué », ou à de plus technologiques « j’ai buggué ».
L’époque a les ébranlements qu’elle peut.