[tuSé sa bij] (loc. verb. RÉCRÉ.)
Selon que l’on touche ou que l’on est pris, tout change par le fait d’un seul verbe pour le suranné qui se respecte.
De respect, précisément, il ne vous en sera pas donné beaucoup si on vous prend pour une bille car ce n’est pas d’une petite boule de verre dont il sera alors question mais de votre tête… que l’on considérera d’ahuri, propre à valoir la moquerie. Il suffira cependant à cette même bille de rouler quelque peu pour que cette fois elle fasse la preuve de toute votre habileté et de vos compétences dans n’importe quel domaine.
Les mêmes qui se gaussaient en vous ayant pris pour une bille loueront alors vos qualités en disant que vous êtes une personne qui, vraiment, touche sa bille. En utilisant toucher, nous allons l’expliquer, elles ne feront nullement mention de ce petit geste répétitif et parasite qui consiste à vérifier tous les quarts d’heure si votre braguette est bien fermée¹; non, toucher sa bille nous vient d’ailleurs.
Il se pourrait que l’idée de compétence pointue qui se meut avec toucher sa bille provienne du billard, sans que l’on sache exactement s’il s’agit du français (le billard carambole à trois billes), du 8 Pool (celui qui se joue avec sept billes rouges, sept jaunes et une noire), du snooker (quinze billes rouges et six billes de couleur), ou du russe (une rouge, quinze blanches). On toucherait sa bille dans ce cas depuis le XVᵉ siècle, époque à laquelle l’ébéniste Henri de Vigne réalisa pour Louis XI la première table connue, mais il n’est fait mention de l’expression ni dans la légende noire du roi, ni dans celle qui tentera de corriger sa mauvaise réputation quelques siècles plus tard.
Notons cependant qu’il fallait toucher sa bille pour devenir Mousquetaire du Roi, la connaissance complète du jeu étant exigée auprès des candidats à la prestigieuse fonction². Cependant là encore, Alexandre Dumas n’use pas de cette locution pour nous faire part des qualités d’Athos, Porthos ou Aramis, et pas plus pour D’Artagnan.
Il parait nettement plus sérieux d’attribuer l’origine de toucher sa bille à la cour de récré. Si Grecs et Romains jouaient à lancer tout et n’importe quoi dans des trous, le véritable jeu de billes se développe avec la gratuité de l’enseignement primaire voulue par Jules Ferry en 1881.
Dès le prime XXᵉ siècle, la pichenette, le pointage, la pince, le calage, sont les techniques de lancer qui permettent de toucher sa bille, que ce soit dans une partie de tic, de poursuite ou de pyramide. On utilise aussi toucher sa bille pour décrire l’habileté du joueur lorsqu’on parle de pot, de mur ou de Tour de France (sur la plage avec Papa) même si dans chacune de ces parties le but n’est pas de toucher une bille… Preuve s’il en faut que la simple description de l’objectif du jeu est devenue synonyme de dextérité et donc, expression consacrée.
Toucher sa bille bat en retraite lorsque le jeu n’est plus de berlingot, de porcelaine (la fameuse « porce »), d’œil de chat, d’abeille, d’agate ou de plomb mais presque exclusivement vidéo. Les poulbots et leur petit sac de toile empli de ces billes de couleurs qui faisaient leur gloire dans la cour de l’école, comparent désormais leurs scores sur Donkey Kong, Space Invaders, Pac Man et Galaxian : en modernité il faut faire du chiffre pour prouver qu’on est bon, la maestria et le beau geste ne valent plus grand chose.
Bien vite, ces pixels devenus désuets rejoindront les tétine, normale, boulet, calot, mammouth, bigaro et triard dans les malles au grenier. Mais ceci est une toute autre histoire.