[trâSé de léléfâ] (loc. verb. BABA.)
Ils ont voulu bouffer Babar !
C’est un cri du cœur que pourrait pousser n’importe quel Vieux Con suranné éduqué aux aventures de l’éléphant le plus emblématique de son enfance s’il ne connaissait pas le sens de l’expression décortiquée ci-dessous.
Bien heureusement il ne criera pas.
Car il sait que trancher de l’éléphant ne consiste aucunement à découper un pachyderme en rondelles mais est un synonyme étonnant de faire le prétentieux, de se la raconter comme on dit chez les djeuns’.
Vraisemblablement bâti sur les mêmes fonts baptismaux animaliers que le descriptif railleur de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, au sens proche, trancher de l’éléphant n’en demeure pas moins un mystère aussi grand que celui du cimetière des mastodontes en question.
Nul doute que trancher de l’éléphant ne peut avoir été créé qu’après l’observation attentive de la bestiole, sans quoi l’ironie distante qui est prise avec l’attitude du vantard se trouverait incomprise.
Si la première rencontre européenne avec une quinzaine des représentants de la race se fait lors de la bataille de Gaugamèles en 331 avant JC, on est certain que ni Darius III ni Alexandre le Grand ne sont à l’origine de trancher de l’éléphant, les troupes du premier se trouvant piétinées par la cavalerie du second peu susceptible de disséquer ses armes nouvelles qui vont l’aider dans sa folle conquête. Pas de trancher de l’éléphant en -331 donc, même si l’envie ne manqua pas aux Perses.
On pourrait envisager que Buffon, qui fut le premier à s’intéresser scientifiquement à l’éléphant et dont on connaît la manie de tout découper pour exposer ensuite dans des bocaux remplis de formol, soit le créateur de l’expression, mais aucun de ses écrits ne soutient sérieusement cette thèse. Pas de trancher de l’éléphant au Jardin royal des plantes non plus.
Charlemagne posséda bien son fameux Abul-Abbas, un éléphant blanc offert par la calife de Bagdad, Louis XIV eu aussi son éléphante en 1668, mais toujours pas de trancher de l’éléphant dans les textes d’époque.
Rien non plus dans les récits pourtant nombreux des aventures du fameux Jumbo passé lui aussi par le Jardin des plantes, Londres et New-York au XIXᵉ siècle.
Il est fort probable que l’on doive trancher de l’éléphant à un quelconque chasseur d’ivoire qui se serait vanté de ses méfaits jusqu’à plus soif, ou à un baratineur expliquant à qui voulait l’entendre qu’on ne le surnommait pas Babar pour la taille de ses oreilles mais plutôt pour celle de sa trompe. Dans un cas ou dans l’autre, le fort en gueule sous-entendait une mise en pièces menues de l’éléphant pour résultat d’un triomphe peu vraisemblable¹.
Trancher de l’éléphant disparut en surannéité comme il était arrivé : soudainement. Certains prétendent que l’animal, trop sensible, ne s’imaginait pas survivre en modernité.