[travajé pur le rwa de prys] (loc. verb. RADI.)
Frédéric-Guillaume Ier de la Maison de Hohenzollern est roi de Prusse dans ces années lointaines du XVIIIᵉ siècle et cette contrée reculée d’Europe orientale qui rejoindra plus tard l’empire d’Allemagne.
Il aurait pu demeurer un roitelet bedonnant¹ coincé dans sa généalogie entre Frédéric Ier et Frédéric II (ce classement numérologique est d’une rigueur toute germanique, pas comme nos Louis et nos Henri à la numérotation farfelue), mais son exercice zélé du pire des sept pêchés capitaux le fit passer à une postérité surannée.
C’est que son altesse était radine. Mais d’une avarice jouisseuse et prosélyte qui venait s’adjoindre au caractère violent et despotique de ce mari jaloux et de ce père cruel². Fort en gueule et amateur de la chose militaire le bougre renforcera l’armée, doublant ses effectifs et acquérant le surnom de Roi-Sergent. Mais portant sa tare en étendard, il paiera ses soldats de leur peine comme tout grippe-sou ou harpagon, avec quelques piécettes, donnant naissance à l’expression travailler pour le roi de Prusse.
S’il est une chose qu’il ne faut oublier quand on est un puissant c’est bien de payer ses guerriers ! Travailler pour le roi de Prusse permettra certes au racle-denier d’outre-Rhin de laisser une trace en langage mais sans que nul ne retienne son nom (ne me dites pas que vous pensez quotidiennement à l’œuvre de Frédéric-Guillaume Ier). La renommée l’aura puni pour radinerie.
Travailler pour le roi de Prusse se transmit par la suite au fil de l’évolution de l’organisation du travail et de sa rémunération, l’expression irriguant les débats sur la question du salaire minimal. Frein à l’embauche pour les économistes libéraux, limite à l’exploitation des ouvriers pour leurs confrères marxistes, interdiction de travailler (pour un salaire inférieur s’entend) pour les jusqu’au-boutistes, réducteur des inégalités pour les rêveurs, le salaire minimal fait toujours l’objet de vastes théories tournant immanquablement autour de l’expression de pingrerie qu’est travailler pour le roi de Prusse.
N’y lisez aucune autre revendication que celle de pouvoir tranquillement mépriser les Gobseck de la Comédie humaine³, je conchie les pisse-vinaigre, les pince-maille, les ladres, les lésineurs et les mesquins, et je préfère le bon vin au chasse-cousin. Quitte à en boire moins souvent.
Que Frédéric-Guillaume Ier de Prusse aille rôtir en enfer, il ne me comptera pas au nombre de ses mercenaires et je ne travaillerai pas pour lui.