Fig. A. Coupe de tube pneumatique.
[le tyb pnömatik] (invent. PTT)
Quand l’Internet moderne croit avoir inventé l’eau chaude il est grand temps de lui mettre une petite claque toute amicale sur le groin. Le suranné ça sert aussi à ça.Mon ami djeun’s range ton Snapchat, ton Facebook ou ton Twitter, débranche ton wifi et ta 4G, tu vas t’apercevoir qu’avec un forfait Zéro Méga on parvenait en des temps surannés à se faire passer des messages. Eh oui mon gars, eh oui ma fille, tu vas prendre un soufflet je te l’annonce.
Au tout début du XIXᵉ, dans sa lointaine et reculée Écosse, William Murdoch ingénieur ingénieux (il avait inventé la lumière avec le gaz d’éclairage) imagina le tube pneumatique ou comment un tuyau de fonte sous pression pouvait faire circuler à 400 mètres par minute des cylindres en fer blanc contenant des nouvelles. Il ne faisait là que reprendre une idée vieille comme Hérode (ou presque) puisque Héron d’Alexandrie¹ avait déjà expliqué ce principe dix huit siècles plus tôt, mais comme vous le savez les véritables génies sont ceux qui savent exploiter les idées des génies, pas les génies eux-mêmes.
Ce brave Willy mit donc au point un système simple de tuyaux et de pompes et la London Pneumatic Dispatch Company lança la mode qui fut reprise dans nombre de grandes villes affairées de par le monde : envoyer du courrier par tube pneumatique. Aux Etats-Unis où l’on fait tout à fond on envisagea un instant d’installer des tubes jusque dans chaque maison, après tout pourquoi pas. En France où l’on fait tout pour taxer les idées on inventa le timbre obligatoire pour le tube pneumatique²…
Malgré cela le réseau se développa ardemment et Paris compta jusqu’à quatre cent cinquante kilomètres de tube pneumatique dans ses sous-sols dans les années 60 surannées. On s’envoyait un pneu comme on disait alors entre puissants de ce monde (l’Assemblée nationale, le Sénat et tous les ministères étaient reliés, ainsi que les bureaux de poste). On écrivait ce que l’on avait à raconter sur une carte cartonnée glissée dans le tube par un tubiste pour envoi à un autre tubiste et un petit télégraphiste monté sur son vélo terminait le travail. En trente minutes le message était à destination.
Godard fait circuler des mots d’amour par tube pneumatique dans À bout de souffle. Mais Jean-Luc est un rêveur romantique; je crains bien que transitèrent surtout par les sous-sols maintes lettres de créances, missives sombres et secrètes, actes authentiques et autres hypothèques plutôt que des mots doux.
Le tube pneumatique est resté oublié dans les sous-sols où vivent les gaspards. Le fax l’a enterré. Et lui aussi a viré suranné. L’e-mail est arrivé. Il filera bien un jour rejoindre ses ancêtres. Pour les affaires restera la parole, celle qu’on donne d’homme à homme. Pour les amours jamais rien ne changera la force du regard, j’en suis certain.