[vaz-i pupu] (onomat. CRI.)
“Les forçats de la route”, écrit Albert Londres dans un article qu’il rédige au Café de la Gare à Coutances en 1924. Il y interviewe trois coureurs cyclistes¹ stars du peloton qui viennent d’abandonner sur la grande boucle et les mecs balancent tout : la dope, la souffrance, les mesquineries d’un règlement tatillon à outrance… Un papier qui fera date en partie parce qu’il est écrit dans une langue diablement surannée. Extrait :– Francis roulait déjà, j’ai rejoint le peloton et dit : viens, Francis ! On plaque.
– Et cela tombait comme du beurre frais sur une tartine, dit Francis, car, justement ce matin, j’avais mal au ventre, et je ne me sentais pas nerveux.
– Et vous, Ville ?
– Moi, répond Ville, qui rit comme un bon bébé, ils m’ont trouvé en détresse sur la route. J’ai les rotules en os de mort.
Une langue qui n’est pas faite de bois comme on l’adore alors. Il nous faudra cependant patienter encore une cinquantaine d’années avant d’entendre ce cri d’encouragement désormais désuet qui nous occupe ici : vas-y Poupou !
Vas-y Poupou est issu d’un titre de la presse quotidienne régionale, L’Écho du Centre, à l’été 1962, pour marquer son soutien au champion local, et il va faire florès.
Les bambins babillent vas-y Poupou avant de prononcer papa-maman
Poupou c’est Poulidor, Raymond de son petit nom, et c’est un sacré cador. Enfin presque. Car Poupou ne gagne jamais le Tour. Étourdi quand il oublie de faire un tour du parcours à Monaco, malchanceux quand il chute et crève lors de l’étape Andorre-Toulouse, pas très finaud lorsqu’il fait un mauvais choix de braquet dans le Puy-de-Dôme, franchement poisseux quand une moto le percute et le pousse à l’abandon, Poupou est l’éternel deuxième, celui qui remporte les étapes mais jamais le maillot jaune.
Alors la France qui croit en son champion se mobilise et l’encourage d’une seule voix. Sur le bord de toutes les nationales, dans tous les cols, toutes les descentes, sous le soleil de juillet ou sous la pluie on entend vas-y Poupou ! Les bambins babillent vas-y Poupou avant de prononcer papa-maman, les forts en gueule s’égosillent, les ténors tonnent tant qu’ils le peuvent, les pipelettes piaillent et les foules acclament. Vas-y Poupou, vas-y Poupou, et le bonhomme pédale !
Il n’y arrivera pas.
Poupou enfonce malgré lui la France dans un rôle de loser sympathique et vas-y Poupou devient son hymne. Au propre comme au figuré car elle le reprend en choeur avec André Verchuren qui nous chante : vas-y Poupou, Pou Poulidor, vas-y Poupouli Poulidor. Vas-y Poupou, Pou Poulidor, car vraiment t’es bien le plus fort. Eh oui, on est en 1972…
Avec Raymond les Français s’habituent à admirer le vainqueur depuis la place d’en-dessous, celle de celui-qui-aurait-pu-mais-qui-n’a-pas, celle du doué pour le beau geste mais pas pour la victoire, celle de Coubertin pour qui participer est déjà amplement suffisant.
Drapé dans sa pose romantique le pays devra attendre 1998 et une équipe de football qui n’a jamais entendu dire vas-y Poupou pour grimper sur le toit du monde sportif. Des fois la modernité ça a du bon.
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