[vizònvizy] (loc. adv. IRON.)
User du suranné en pleine modernité revient généralement à se flageller la langue avec des orties fraîches et c’est là une bien périlleuse aventure surtout si l’on porte un propos qui aimerait être compris. Il est cependant quelques cas où l’on pourra glisser une désuétude pour peu qu’elle soit porteuse d’un caractère complexe à décoder : l’ironie.Vison-visu est de cette catégorie.
De prime abord, vison-visu n’exprime qu’une proximité de vis-à-vis, visage contre visage, face contre face. Ainsi la maison vison-visu n’est-elle que celle face à une autre, la porte vison-visu celle de l’autre côté du palier, etc. Vison-visu fait tinter la répétition en rythme de son vis comme un petit signal de légèreté voire de raillerie, un peu à la façon des à l’aise Blaise, cool Raoul, relax Max, tranquille Mimile, qui lui succèderont beaucoup plus tard puisque visum visu (que l’on prononce alors vison-visu) est trouvé dans Rabelais dès 1546.
Vison-visu est donc un face à face dont on peut rire, comme celui du mari et de l’amant caché dans le placard, du chasseur et du lion qui soudain n’est plus proie, du crapaud et de la belle princesse… Une proximité vison-visu se meut sans demander son reste en promiscuité et fait que la vue, sens primordial pour l’être humain, se trouble un peu laissant le viscéral prendre le contrôle : le ressenti est maître.
Se trouver vison-visu c’est se poser si près de l’autre que l’un va sentir son parfum, l’autre pouvoir toucher sa peau, une situation complexe convenez-en lorsqu’elle se propose dans l’ascenseur arrêté entre deux étages, avec le sous-chef de service du troisième étage en charge de la photocopieuse et des trombones (oui, celui avec le stylographe quatre couleurs dans le poche pectorale de la chemisette violette).
Vison-visu est inscrit sur la liste noire des expressions depuis que toute proximité est devenue suspecte de concupiscence, depuis qu’un rendez-vous professionnel entre une femme et un homme doit se faire porte ouverte, depuis qu’on ne passe plus de slows en discothèque, depuis que plus aucun inconnu ne vous offre des fleurs, depuis qu’il est plus d’usage de laisser choir son mouchoir pour qu’un galant le puisse ramasser.
Vison-visu est tout autant menacé que son homonyme mammifère carnivore de la famille des mustélidés mais aucun groupe de pression ne s’en émeut au point de défiler dans les rues, quitte à se retrouver face à face avec la maréchaussée. Vison-visu est bien foutu.