[vwar le lu] (loc. verb. HOUUU.)
Depuis Plaute et sa Comédie des ânes (-195 av. JC), l’on sait que homo homini lupus est.
Pline l’Ancien, Rabelais, Agrippa d’Aubigné, Francis Bacon, Hobbes, Schopenhauer, Freud n’ont fait que reprendre cette pessimiste locution pour la mettre à leur sauce, confirmant cependant le caractère agressif de leurs contemporains humains. Et ce faisant, d’un loup qui n’avait rien demandé.
Depuis le Petit Chaperon rouge, conte populaire du XIVᵉ siècle quant à lui, l’on sait aussi que le loup est un loup pour la jeune fille. Et que celle qui l’a vu changera son regard… sur les hommes.
Voir le loup fut en effet conçu pour marquer pudiquement ce passage par le lit de mère-grand qui n’était pas vraiment l’aïeule supposée mais plutôt un vil prédateur déguisé. Plutôt que le laisser dans son plus simple appareil, la sagesse pudibonde préféra l’accoutrer d’une toison fournie, ce qui demeure un comble convenons-en, puisque précisément, à poil le langage n’entendait pas le voir.
La morale réfutant donc la zigounette et son usage, elle imposa voir le loup, laissant au passage planer plus qu’un doute sur les bienfaits de la Chose qu’un certain Donatien Alphonse François de Sade s’évertuait par ailleurs à décrire comme plaisante. Enchaînant coup sur coup faits d’armes du loup bouffeur de Chaperon rouge (version Charles Perrault) et ravages sanglants de la Bête du Gévaudan, le bon peuple de France termine le XVIIIᵉ avec une certaine appréhension à l’idée de voir le loup.
La baiselette qui ne rêve pourtant que de le voir, ce fameux loup, devra patienter plus de cent cinquante ans et attendre 1968 et sa nouvelle vision de l’animal pour enfin en tâter la queue et lui caresser le poil.
En novembre 1992, pour la première fois depuis longtemps, on voit le loup officiellement dans le parc national du Mercantour¹. Les prises de parole de très dignes représentants de l’autorité administrative, toute cravate montée, annonçant à grand renfort de conférences de presse qu’à nouveau en France on peut voir le loup font sourire les libidineux, ce que bien entendu une bonne autorité ne saurait tolérer. Voir le loup devient inutilisable y compris par ceux qui l’ont vraiment aperçu : désormais la parole est tabou.
Suprême paradoxe, c’est donc la réintroduction du loup qui fait disparaître voir le loup de l’expression orale. Notons que l’animal ne s’en porte pas plus mal.
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